L’occupation des sols : l’impact de l’urbanisation

Si l’exode rural a caractérisé l’évolution de l’urbanisation de la Corse jusqu’à la fin des années soixante, il semble que ce processus soit arrivé à son terme. Entre 1982 et 2008, la Corse a vu sa population, et son parc de logements plus encore, augmenter très fortement, avec des taux d’évolution qui sont le double de ceux de la France métropolitaine. En termes de progression de la population (+ 26 %) et du parc de logements (+ 56 %), la Corse occupe la deuxième place des régions métro politaines, juste après le Languedoc-Roussillon.

Immeubles récents à Ajaccio

En l’espace d’une génération, le patrimoine bâti non traditionnel de la Corse a augmenté de façon massive. Ce phénomène a modifié son environnement en raison de son ampleur, de l’importance de l’étalement urbain et du manque de règles cohérentes à l’échelle des territoires. En l’absence de grands complexes industriels et d’importantes infrastructures de transport, l’urbanisation est, parmi les activités humaines, celle dont l’impact environnemental est le plus marquant et le plus durable. Elle est souvent ressentie comme une agression dans une île dont le patrimoine environnemental est reconnu et en grande partie préservé. L’impact paysager des constructions, trop souvent précédées d’importants travaux de terrassement, est accentué par la vigueur du relief qui les rend visibles de très loin. Le patrimoine naturel étant une des richesses principales de la Corse, l’urbanisation des trois dernières décennies et la spéculation qui l’ont accompagnée, sont donc surtout perçues de façon négative.

Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. Jusqu’à la dernière guerre, les constructions participaient positivement à l’environnement grâce à une implantation respectueuse du relief et des terres cultivables, des volumes simples et des matériaux issus du sol, des murs de soutènement qui structuraient les jardins empêchaient l’érosion et favorisaient la végétation. La cohérence de ce type d’habitat était assurée par un réseau de chemins et de passages qui mettaient l’espace et les lieux publics à la disposition de tous.

L’objectif à poursuivre sera de concilier la nécessité absolue d’offrir à la population un logement décent et celle de préserver le patrimoine naturel. Ces deux objectifs ont pu apparaître comme antinomiques dans un passé récent. Aujourd’hui ils devraient pouvoir converger. C’est à dire que les travaux effectués par les hommes pour aménager leur cadre de vie, pourraient concourir, in fine, à la valorisation du patrimoine environnemental dont ils font eux-même partie.

L’utilisation de l’espace

Les espaces dits artificialisés sont, pour partie, soustraits à l’activité agricole. Ils amputent et morcellent le milieu naturel et altèrent la biodiversité. La base de données Corine Land Cover apporte des informations pertinentes en terme d’évolution : les territoires artificialisés représentaient une proportion de 1,9 % de la surface totale de la Corse en 2006, en extension de 2 % par rapport à 2000. En France métropolitaine, les territoires artificialisés représentaient en 2006 une proportion de 5,1 %, en extension de 3 % par rapport à 2000. La superficie de territoire artificialisé par habitant est de 540 m2 par habitant en Corse et seulement de 440 m2 en France métropolitaine.

Les terres agricoles ne représentent, en Corse, que 12 % de l’espace. Ce chiffre, sans doute sous-estimé en raison de la pratique d’un élevage extensif dans les espaces classés comme naturels, reste loin cependant des 60 % de terres consacrées à l’agriculture en France métropolitaine. Il est donc essentiel de préserver un espace agricole réduit face un phénomène d’artificialisation, encore limité, mais qui évolue de façon sensible.

L’étalement urbain

La définition officielle de l’étalement urbain correspond à une croissance de la surface urbanisée plus rapide que celle de la population. Ce phénomène a concerné la Corse depuis les années soixante, en raison, d’une part, de la diminution de la taille des ménages qui a fait croître le parc de logements bien plus vite que la population, et d’autre part de la consommation foncière (les logements sont établis sur de grandes surfaces). À cela s’ajoute le développement des résidences secondaires qui consomment de la surface sans apporter de population résidente. Leur taux en Corse (35 % en 2009) est sans commune mesure avec celui des autres régions : France métropolitaine, 10 %, Languedoc-Roussillon, 20,8 % et Provence-Alpes-Côte d’Azur, 16,6 %.

De nombreux éléments d’appréciation tels que le dynamisme de la construction et la superficie des parcelles bâties semblent indiquer que ce phénomène se poursuit. Il conviendrait donc d’en faire une évaluation précise. Pour la plupart des urbanistes, l’étalement urbain est préjudiciable car il consomme une ressource non renouvelable (l’espace naturel agricole et paysager), génère des coûts élevés d’infrastructure (routes, canalisations, câbles) et de services (courrier, enlèvement des ordures, ramassage scolaire, défense contre les incendies). Il participe, en outre, à l’imperméabilisation des sols. Les habitants des zones urbaines étalées consomment deux ou trois fois plus d’énergie que ceux des zones denses et contribuent ainsi fortement aux émissions de gaz à effet de serre. En Corse, l’incidence de ces effets négatifs est accrue en raison d’un mode d’urbanisation peu coordonné par les collectivités locales, conséquence d’une longue absence de politique foncière et du manque de véritables objectifs d’aménagement. Les logements collectifs ont été édifiés sans tenir compte de leur desserte. La voirie, établie a posteriori, se fraie un passage entre les immeubles, quand cela est possible. La mise en place de transports en commun est devenue un véritable casse-tête avec, au bout du compte, un niveau de service trop faible pour constituer une alternative à la voiture particulière. Les maisons individuelles partent à l’assaut des montagnes et du littoral dans un dédale de voies d’accès, compliquant la mise en œuvre de tous les services et aggravant fortement la facture énergétique.

D’autres difficultés sont inhérentes à la Corse. L’une tient à la géographie très fragmentée de l’île et à la vigueur des particularismes qui mettent en exergue la nécessité d’une action publique coordonnée. L’autre tient au découpage communal. Dans la plaine orientale, les territoires communaux prennent la forme de lanières qui s’étendent depuis la montagne perpendiculairement au rivage. La zone urbanisée se développe de façon extensive, le long de la route côtière. Elle prend toutes ces communes en enfilade, de façon indistincte, au mépris de tous les principes de la planification urbaine.

Cependant, la position, découlant des objectifs des lois « Grenelle » [voir ci-dessous], qui tend à privilégier l’habitat collectif et la mixité sociale et fonctionnelle, ne doit pas être dogmatique car le modèle de la maison individuelle constitue un type d’habitation recherché par une large majorité des ménages, conformément au processus d’individualisation qui a marqué la société à partir des années soixante. Ainsi, les préceptes du développement durable devront être adaptés à une géographie et une culture spécifiques. C’est la qualité du projet qui pourra emporter l’adhésion de ceux qui vont y vivre et seront les véritables acteurs de sa durabilité.

 

Urbanisation du cordon lagunaire de la Marana

 

Évolution de la tâche urbaine

Durant l'année 2013 a été réalisée dans le cadre de l'Observatoire du développement Durable une analyse de la consommation de l'espace par l'urbanisation ayant une double finalité :
Finalité 1 : Mesure de l'impact de l'urbanisation sous l'angle de la consommation de terrains. Les terrains ayant un potentiel agricole sont principalement visés mais d'autres effets, bien que plus difficiles à quantifier, sont pris en compte (dénaturation du littoral et l'atteinte aux paysages )

Finalité 2 : Construire un système d'information durable et partagé
Cette étude a pour objet de constituer un système d'information permettant de renseigner les acteurs locaux, sur l'évolution de l'occupation du sol en Corse à partir d'une méthodologie reproductible et d'un dispositif d'observation pérenne dans le temps.

Cette démarche, à laquelle ont contribués différents organismes régionaux (DREAL, Agence d'urbanisme, OEC, DRAAF, DDTM 2A et 2B, OEC, ODARC, SAFER, Université de Corse, INSEE, CRA, CDA, GIRTEC ) a pour objectif l’analyse de la consommation d’espace en Corse à partir des connaissances chiffrées et cartographiées de l'évolution de l'occupation de l'espace en Corse à partir :
·    d’indicateurs globaux et locaux adossés à des référents nationaux
Cette approche permettra un premier niveau de compréhension et d'analyse des phénomènes à l'œuvre ainsi que l'élaboration d'une première typologie des espaces de Corse en matière de consommation d'espace
·    d’analyses localisées dans les différents types d'espace (aire urbaine dont unité urbaine et espace péri-urbain, pôles structurants, petites villes, bourgs-centre, communes rurales).
Pour atteindre cet objectif l'approche géomatique sera privilégiée en utilisant les bases de données disponibles ( base de données de MAJIC2 de la DGI, base de donnée SITADEL des permis de construire, BD parcellaire de l'IGN ) et différentes couches géographiques ( zonage agrosylvopastoral, espaces naturels, pédologie, atlas des paysages, POS/PLU,...).

Les informations recueillies concernent :
·    le rythme de consommation d'espace lié à l'urbanisation et la péri-urbanisation (profondeur historique d'une trentaine d'année) rapporté à l'évolution du nombre d'habitants
·    la perte et les évolutions des espaces agricoles et naturels
·    la contribution (part relative et évolution) du résidentiel, des activités et des infrastructures dans l'artificialisation des sols
·    les caractéristiques socio-économiques des espaces à forte urbanisation
·    l'évolution de l'occupation des sols au regard des documents de planification en vigueur (notamment appréciation de l'avenir avec les surfaces prévues à l'urbanisation rapportée aux prévisions d'accueil de population)

 

Principaux résultats de l'étude

 

 

Graphique d'évolution de la tâche urbaine de 1971 à 2010 par typologie d'occupation des sols

 

Cartographie animée de l'évolution de la tâche urbaine de 1971 à 2011

Evolution de la tache urbain 1970 à 2011
 

Les lois « Grenelle »

La loi dite « Grenelle 1 », dans son article 7, a inscrit dans les objectifs du droit de l’urbanisme la lutte contre la régression des surfaces agricoles et naturelles et la lutte contre l’étalement et la déperdition d’énergie avec une gestion économe des ressources et de l’espace. La loi dite « Grenelle 2 », dans ses articles 17 et 19, impose aux documents d’urbanisme (schémas de cohérence territoriale et plans locaux d’urbanisme) de présenter une analyse de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers pendant les dix dernières années et de justifier des objectifs chiffrés de limitation de cette consommation.

Afin d’offrir une alternative à l’étalement urbain, les lois « Grenelle » prévoient d’encourager les collectivités territoriales à réaliser des opérations exemplaires d’aménagement durable. Il pourra s’agir de programmes d’innovation énergétique, architecturale, paysagère et sociale, en continuité avec le bâti existant. Ces programmes intégreront dans leurs objectifs la préservation et la rénovation du patrimoine, le développement des transports en commun et des modes de déplacement économes en énergie, la prise en compte des enjeux économiques et sociaux, la réduction de la consommation de l’espace et la réalisation d’écoquartiers.

Au vu du constat que l’on peut faire sur l’urbanisation des trente dernières années, la prise en compte de ces objectifs, dans leur ensemble, constituerait une inflexion majeure dans les pratiques urbanistiques de la Corse.

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