L’exode rural a caractérisé l’évolution de l’urbanisation de la Corse jusqu’à la fin des années 1960 ; il semble toutefois que ce processus soit arrivé à son terme. Entre 1982 et 2013, la Corse a vu sa population, et son parc de logements plus encore, augmenter très fortement, avec des taux d’évolution qui sont près du double de ceux de la France métropolitaine.

Pour la période récente, les territoires artificialisés en 2012 ne représentaient que 2,1 % de la superficie de la Corse contre 5,5 % de celle de la France métropolitaine, d’après la base de données Corine Land Cover. Entre 2006 et 2012, ils ont augmenté de 3,6 % en Corse, soit 645 hectares, contre 2,8 % pour la France métropolitaine. La superficie de territoire artificialisé par habitant est ainsi de 584 m2 par habitant en Corse contre seulement 480 m2 en France métropolitaine en 2012.

En l’espace d’une génération, le patrimoine bâti non traditionnel de la Corse a augmenté de façon massive. Ce phénomène a modifié son environnement en raison de son ampleur, de l’importance de l’étalement urbain et du manque de règles cohérentes à l’échelle des territoires. En l’absence de grands complexes industriels et d’importantes infrastructures de transport, l’urbanisation est, parmi les activités humaines, celle dont l’impact environnemental est le plus marquant et le plus durable. Elle est souvent ressentie comme une agression dans une île dont le patrimoine environnemental est reconnu et en grande partie préservé. L’impact paysager des constructions, trop souvent précédées d’importants travaux de terrassement, est accentué par la vigueur du relief qui les rend visibles de très loin. Le patrimoine naturel étant une des richesses principales de la Corse, l’urbanisation des trois dernières décennies et la spéculation qui l’a accompagnée, sont donc surtout perçues de façon négative.

Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. Jusqu’à la dernière guerre, les constructions participaient positivement à l’environnement grâce à une implantation respectueuse du relief et des terres cultivables, des volumes simples et des matériaux issus du sol, des murs de soutènement qui structuraient les jardins empêchaient l’érosion et favorisaient la végétation. La cohérence de ce type d’habitat était assurée par un réseau de chemins et de passages qui mettaient l’espace et les lieux publics à la disposition de tous.

L’objectif à poursuivre sera de concilier la nécessité absolue d’offrir à la population un logement décent et celle de préserver le patrimoine naturel. Bien que ces deux objectifs aient pu apparaître comme antinomiques dans un passé récent, ils devraient à présent pouvoir converger. C’est-àdire que les travaux effectués par les hommes pour aménager leur cadre de vie, pourraient concourir, in fine, à la valorisation du patrimoine environnemental dont ils font eux-mêmes partie.

La consommation de l’espace et l’impact de l’urbanisation

Un étalement urbain conséquent…

Urbanisation du cordon lagunaire de la Marana
Eric Volto pour DREAL Corse

Selon une étude de l’Observatoire du développement durable parue en 2015, la surface urbanisée (i.e. la surface retirée de son état naturel, bâtie ou non) aurait été multipliée par trois en l’espace de trente ans en Corse. D’autres travaux effectués dans le cadre de l’élaboration du PADDUC ont permis de construire, à partir du bâti existant, une tache urbaine qui permet d’avoir une représentation relativement fidèle de l’artificialisation des sols. La maille de traitement est plus fine que celle issue de la méthode Corine Land Cover, cette tache urbaine ayant été construite pour deux périodes relativement éloignées par rapport à l’actualisation des données de la base Corine Land Cover. La tache urbaine de 1980 représente 7.336 ha, celle construite sur l’année 2014 représente 16.093 ha. Elle a donc été multipliée par 2,2 en trente-cinq ans, quand la population régionale n’a augmenté que d’un facteur 1,4 sur la même période. Quelles que soient les méthodes et les références, la conclusion reste identique : l’artificialisation des sols augmente de façon plus importante que la population, l’étalement urbain est conséquent. La définition officielle de l’étalement urbain correspond en effet à une croissance de la surface urbanisée plus rapide que celle de la population.

Pour la plupart des urbanistes, l’étalement urbain est préjudiciable, car il consomme une ressource non renouvelable (l’espace naturel agricole et paysager), génère des coûts élevés d’infrastructure (routes canalisations câbles) et de services (courrier, enlèvement des ordures, ramassage scolaire, défense contre les incendies).  Il participe, en outre, à l’imperméabilisation des sols. Les habitants des zones urbaines étalées consomment deux ou trois fois plus d’énergie que ceux des zones denses et contribuent ainsi fortement aux émissions de gaz à effet de serre.

Ce phénomène s’observe depuis les années soixante en raison, d’une part, de la diminution de la taille des ménages qui a fait croître le parc de logements bien plus vite que la population, et, d’autre part, de la consommation foncière (les logements sont établis sur de plus grandes surfaces).

À cela s’ajoute le développement des résidences secondaires qui consomment de la surface sans apporter de population résidente. Leur taux en Corse (37 % en 2013) est sans commune mesure avec celui des autres régions (France métropolitaine : 10 %, Languedoc-Roussillon : 20,8 % et Provence-Alpes-Côte d’Azur : 16,6 %). Toutefois, beaucoup d’habitants des zones urbaines d’Ajaccio et Bastia sont déclarés résidents secondaires dans leur village. Ils travaillent la semaine et passent des week-ends et une grande partie de leurs vacances « au village », dans la maison familiale. Ce phénomène concerne majoritairement les communes de l’intérieur (exemple du village de Renno : 209 habitants dont 173 résidents secondaires). Ainsi, environ 40 % des propriétaires de résidences secondaires en Corse sont des habitants de l’île.

  

Tableau 1 : Répartition des propriétaires de résidences secondaires en Corse selon leur lieu de résidence principale; source : Filocom

 

Région de résidence principale 2010 2013
Provence-Alpes-Côte d’Azur 18,64% 18,24%
Île-de-France 18,75% 18,48%
Corse 38,24% 41,25%
Autre région en France 16,85% 15,28%
Autre 7,52% 6,75%

 

 

… mais non-homogène

De nombreux éléments d’appréciation tels que le dynamisme de la construction et la superficie des parcelles bâties semblent indiquer que le phénomène d’étalement urbain se poursuit.
Il conviendrait donc d’en faire une évaluation précise.

Pour l’ensemble de la région (à l’exception du secteur de Corte), la période comprise entre 1975 et 1989 connaît les taux de croissance de la tache urbaine les plus importants.
L’analyse spatiale réalisée en 2015 par l’Observatoire du développement durable a montré que l’utilisation des parcelles et la création de surfaces artificialisées ont suivi des tendances comparables sur les deux départements, avec un pic dans la période 1980-1984, un creux dans la période 1995-1999 (le rythme de croissance de la tache urbaine a diminué en se rapprochant de celui de la population.) et une remontée dans les années récentes.

Plus localement, on constate des disparités :

  • en matière d’évolution de surface urbanisée, le secteur de Porto-Vecchio occupe la première place fin 2009, devant celui d’Ajaccio qui compte pourtant un nombre beaucoup plus important de parcelles utilisées laissant supposer une plus grande densification ;
  • les communes moyennes situées dans la couronne des grandes aires urbaines (Alata, Borgo) ou les communes principales des aires urbaines secondaires (Porto-Vecchio, Calvi) présentent une augmentation plus rapide des parcelles utilisées en nombre et en surface de 1970 à 2009. Ainsi, près du quart des parcelles utilisées en Corse entre 1970 et la fin de l’année 2009 ont été consommées par neuf communes (Porto-Vecchio, Ajaccio, Borgo, Zonza, Biguglia, Furiani, Bonifacio, Lucciana et Alata) qui représentaient 35 % de la population de l’île en 2010.

Une littoralisation de l’urbanisation

Urbanisation autour de la zone humide de San Ciprianu
Eric Volto pour DREAL Corse

Corrélée à la répartition humaine sur le territoire, l’urbanisation se concentre à proximité du littoral, contrairement aux modes traditionnels de l’occupation du territoire en Corse. Cette urbanisation du littoral résulte de la conjonction de trois phénomènes :

  • la désertification de l’intérieur au profit du littoral tout au long du XXe siècle et notamment après la Seconde Guerre mondiale ;
  • les flux migratoires quasi-exclusivement dirigés vers le littoral (sur les 34 000 habitants qu’a gagné la région Corse entre 1999 et 2006, 81 % ont été accueillis sur le littoral) ;
  • l’attractivité touristique de l’île très fortement liée au littoral, qui concentre la quasi-totalité des équipements touristiques marchands et une forte capacité d’accueil.

S’il existe de fortes différences structurelles entre les communes des deux agglomérations principales (Bastia et Ajaccio), les autres communes littorales et celles de l’intérieur (celles qui n’ont pas de façade maritime), il serait toutefois exagéré de considérer que le littoral se développe au détriment de l’intérieur.

Sur la période 1982-2008 la population a augmenté de 21 % dans les deux communautés d’agglomération de Bastia et du Pays ajaccien, de 40 % dans les communes littorales (hors deux communautés d’agglomération) et de 15 % dans les communes de l’intérieur. La croissance du nombre de résidences principales est liée à celle de la population et au phénomène de desserrement des ménages dont la taille diminue. Ainsi, le nombre de résidences principales s’est accru de 50 % dans les deux communautés d’agglomération, de 86 % sur le littoral et de 32 % dans l’intérieur. Ces écarts sont amplifiés par rapport à l’évolution de la population du fait de la forte décroissance de la taille des ménages dans les communes littorales et dans les agglomérations, alors que cette taille était déjà faible dans l’intérieur et qu’elle a assez peu évolué depuis.

Dans les communes littorales, mises à part les deux agglomérations, le taux de résidences secondaires est de 48 % et il a tendance à s’accroître, la proportion de résidences secondaires reste également extrêmement élevée dans les communes de l’intérieur et se maintient autour de 44 %, alors qu’on ne compte que 7 % de résidences secondaires dans la communauté d’agglomération de Bastia et 13 % dans celle d’Ajaccio.

Le paramètre identifiant de la façon la plus nette le parc de logements des communes de l’intérieur de la Corse est la part des logements anciens, 57 % d’entre eux ont été construits avant 1949 contre seulement 18 % dans les communes littorales et dans les communautés d’agglomération.

Les surfaces impactées

L’étalement urbain se fait sur différentes natures de sols, les espaces dits artificialisés sont soustraits à l’activité agricole et au milieu naturel, qu’ils amputent et morcellent, altérant la biodiversité. Les terres agricoles sont celles majoritairement consommées sur ces trente-cinq dernières années. Ce n’est pas une surprise au vu de leurs caractéristiques (faible pente, accessibilité aux réseaux, irrigabilité, etc.) qui en font aussi dans de nombreux cas des terres constructibles en bordure de l’urbanisation existante.

Or, les terres agricoles ne représentent, en Corse, que 12 % de l’espace, ce chiffre, sans doute sous-estimé en raison de la pratique d’un élevage extensif dans les espaces classés comme naturels, reste loin cependant des 60 % de terres consacrées à l’agriculture en France métropolitaine. Il est donc essentiel de préserver un espace agricole réduit face un phénomène d’artificialisation qui progresse de façon significative. En effet, la tendance semble s’accélérer avec une croissance notable depuis 2006, d’après Corine Land Cover.
Entre 2006 et 2012, les surfaces artificialisées ont augmenté de 650 ha, aux dépens des milieux semi-naturels et des territoires agricoles, dans des proportions quasiment équivalentes, ceci majoritairement sur les communes littorales.

Consommation des terres par l’urbanisation
Source : AUE, PADDUC
 
Évolution des surfaces entre 2006 et 2012
Source : SOeS - Programme Copernicus de la
Communauté Européenne

Un cadre nécessaire

Une résidence récente à Ajaccio
ODDC, G.Winterstein

En Corse, l’incidence des effets négatifs de l’étalement urbain est accrue en raison d’un mode d’urbanisation peu coordonné par les collectivités locales, conséquence d’une longue absence de politique foncière, de l’absence de planification intercommunale et du manque de véritables objectifs d’aménagement.

La plupart des logements collectifs ont été édifiés sans tenir compte de leur desserte. La voirie, établie a posteriori, se fraie un passage entre les immeubles, quand cela est possible. La mise en place de transports en commun est devenue un véritable casse-tête avec, au bout du compte, un niveau de service trop faible pour constituer une alternative à la voiture particulière. Les maisons individuelles partent à l’assaut des montagnes et du littoral dans un dédale de voies d’accès, compliquant la mise en oeuvre de tous les services et aggravant fortement la facture énergétique. Les nouvelles constructions suivent, dans l’ensemble, les tendances de l’architecture contemporaines, sans spécificité ni recherche de continuité avec l’existant, menant à des ensembles incohérents.

D’autres difficultés sont inhérentes à la Corse. L’une tient à la géographie très fragmentée de l’île et à la vigueur des particularismes qui mettent en exergue la nécessité d’une action publique coordonnée. L’autre tient au découpage communal. Dans la plaine orientale, les territoires communaux prennent la forme de lanières qui s’étendent depuis la montagne perpendiculairement au rivage. La zone urbanisée se développe de façon extensive, le long de la route côtière. Elle prend toutes ces communes en enfilade, de façon indistincte, au mépris de tous les principes de la planification urbaine.

Cette diversité territoriale, avec un nombre élevé de communes et des territoires contraints souvent enclavés, n’a pas facilité la coopération entre communes ou bassins de population, d’où l’absence de stratégies territoriales à l’échelle des micro-régions pour établir des projets d’aménagement cohérent. L’aménagement en Corse est donc un sujet majeur compte tenu de la pression foncière importante, en particulier dans les communes du littoral et des contraintes fortes (topographie, patrimoine naturel, risques, servitudes) sur l’ensemble du territoire insulaire, qui nécessite d’être encadré. Le PADDUC vise à répondre, en partie, à ces problématiques (voir paragraphes suivants).

L’absence de titres de propriété est également une des causes principales de désordre juridique du patrimoine immobilier. Devant ce phénomène massif, les situations complexes et les longs délais de reconstitution des titres, un organisme dédié a été créé : le Groupement d’intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse (GIRTEC). Ainsi dès la fin 2015, le GIRTEC avait soldé 3.264 dossiers, soit environ 500 par an. Plusieurs décennies seront nécessaires pour venir à bout de ce désordre. Un développement solidaire et maîtrise du territoire implique une convergence des efforts, au delà de l’action de titrement du GIRTEC, afin de mobiliser du foncier.  Pour cela, a été créé par la loi ALUR, l’Office foncier de la Corse à qui il revient de mettre en oeuvre des stratégies foncières, de contribuer à lutter contre l’étalement urbain, de constituer des réserves foncières en vue de réaliser notamment du logement.

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